L’une d’elles – Una

Cette douleur sourde…
Une horreur brute, étouffante.

Ma première réaction fut de faire comme si rien ne s’était passé.
C’était impossible à remarquer – et personne ne remarqua rien.

Moi je remarquais quelque chose.
Un torrent de désolation, un mur épais et encombrant que je devais pousser chaque jour…
Chaque minute.
Un silence assourdissant, résonnant à mes oreilles alors que je titubais vers l’avant, et plus loin encore, un pied devant l’autre.
Il vint me voir quelques jours après, peut-être juste pour se rassurer.
Quand je le vis, debout sur le perron, j’en eus le souffle coupé, mais je le laissai quand même entrer.

C’était un tel salaud, ça lui venait naturellement. Je suis sûre qu’il en est toujours très fier.

Il m’expliqua que LUI n’avait rien fait de mal. Il avait juste pris ce qu’il lui appartenait déjà. Il s’assura que j’aie bien compris qu’on ne pouvait rien lui reprocher…
Personne ne lui aurait rien reproché.

L'une d'elle 4L’une d’elles, Una, éditions Cà & Là, 2018

Résumé éditeur : 

Un récit personnel dévastateur sur les violences faites aux femmes sur fond d’affaire de l’éventreur du Yorkshire, le tueur en série qui a sévi en Angleterre et tué treize femmes entre 1975 et 1980.

Nous sommes en 1977, Una a douze ans et vit dans le West Yorkshire. Un assassin sème la panique dans la région en s’attaquant à des femmes isolées, en majorité des prostituées. La police peine à résoudre l’affaire – en dépit de milliers d’heures passées à la recherche du tueur et alors que les forces de l’ordre ont interrogé plusieurs fois le meurtrier sans le savoir. L’incapacité des policiers à trouver le coupable soulève l’indignation à travers le pays. Dans la période où ces meurtres ont eu lieu, Una a été victime d’une série d’agressions sexuelles, agressions dont elle s’est par la suite sentie coupable.

Retraçant son histoire personnelle, expliquant les raisons des ratés de l’enquête, fournissant des statistiques édifiantes sur le degré d’impunité des hommes coupables de féminicides et d’agressions sexuelles, L’une d’elles explore ce que signifie grandir dans une société où la violence masculine n’est jamais remise en question. Avec le recul, Una décrypte ce qui lui est arrivé il y a une trentaine d’années, se demande si quelque chose a vraiment changé et questionne nos sociétés qui imposent aux victimes de ces violences d’en payer elles-mêmes le coût.

***

Elle l’avait  bien cherché !

J’ai choisi ce livre lors de la dernière masse critique Babelio consacrée aux ouvrages graphiques. La couverture ainsi que le sujet traité m’ont interpellée. Merci à Babelio et aux éditions Ça et Là pour cet envoi.

L’une d’elles est le premier roman graphique que je lis. Et le sujet est poignant puisqu’il s’agit des violences faites aux femmes. L’auteure part de son histoire personnelle pour questionner la société qui, bien souvent culpabilise la femme pourtant victime, ou préfère ignorer la réalité.

Ainsi je devins un témoin non fiable et une parfaite victime.

En noir, gris et blanc, avec quelques touches de couleurs par-ci par-là, Una illustre son histoire, ainsi que les faits relatés dans la presse notamment, puisqu’elle a grandi à l’époque où l’éventreur du Yorshire sévissait, s’attaquant à des femmes. Les dessins et légendes sont percutants. Elle nous montre la manipulation des prédateurs sur leurs victimes. Le prédateur qui flatte. Le prédateur qui se persuade que sa victime est assez âgée et consentante. Le prédateur qui ne doute pas une seule seconde qu’il pourrait être rejeté tant il est sûr de lui, et de sa force masculine. Le prédateur qui est fier d’être un homme et à qui personne ne peut résister. Comment lui reprocher d’être lui ?

Mais Una nous montre surtout les ravages de ces agressions sur les jeunes filles, les femmes, qui de victimes sont souvent perçues comme coupables par la société. Elle n’avait qu’à pas s’habiller comme ça ! Elle n’avait qu’à pas se promener par là à ce moment-là ! Pourquoi s’habiller de manière si provocante ? Pourquoi se plaindre alors qu’elle avait mis une jupe si courte ? Encore une fille facile, une salope ! Et la honte, la honte de ce qui nous est arrivé… La peur d’en parler… Et les rumeurs, les ragots quand cela se sait. Puis les menaces et les intimidations… Alors, alors tomber dans l’engrenage : avoir peur de sortir, peur d’agir d’une façon qui pourrait être mal perçue, alors qu’on est juste soi-même, femme. Porter plainte ? Pourquoi faire ? Qui nous croira ? En qui avoir confiance dans cette société ? La femme est souvent condamnée à porter son fardeau et à se taire. Alors survient l’isolement, moral, physique, psychologique…

Quand les parents de certains de mes amis leur dirent de ne plus me fréquenter, je ravalai ma honte et passai plus de temps toute seule.

Tout le monde était d’accord… il y avait un problème et il venait de moi.

Una est l’une d’elles. L’une de ces nombreuses femmes qui ont été abusées, agressées, violées, qu’on a salies, insultées au collège et au lycée, dans la rue. Mais Una est aussi cette femme courageuse qui témoigne dans ce bel ouvrage, qui raconte, qui analyse pour se reconstruire, parce que non ce n’est pas de sa faute si elle est une femme !

En bref, Una en mêlant dessins, faits réels, et éléments autobiographiques nous livre un roman graphique poignant et puissant sur les violences faites aux femmes. A lire absolument !

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l'une d'elles

 

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